jeudi 23 décembre 2010

Moi c’est la neige

Il y a des gens qui ne peuvent pas supporter juillet. Les nuits douces, l’air dehors, à la même température que celle du corps, la sueur salée, les concerts en plein-air. Les plaines, la lune, les vacances. Les pique-niques. Être nu pieds, être en robe, danser et puis manger tard, avec les doigts, des légumes cuits au barbecue, rien qui est prêt au bon moment. Le rosé. Le soleil. La mer, la route. Le melon d’eau. Cracher les pépins. Avoir du jus sur le menton. Être beau et collant, et bronzé, et heureux.


Il y en a qui ne peuvent pas venir voir l’automne. Les foulards et la laine, et la rentrée, l’odeur du papier neuf, livres, cahiers, crayons de bois. Les cours de natation. Reprendre. Comprendre. Apprendre une langue. Les petits bonnets, les gants, les joues roses et la buée qui sort de la bouche comme un signal, le froid piquant, le chaud moelleux, le marché et les pommes cuites, prendre des marches, faire des feux, guetter les étoiles dans le ciel étonnament clair de septembre, voir les jours raccourcir. Manger des huîtres. S’envelopper. Porter des jupes longues et des chemises. Avoir une nouvelle coupe de cheveux. Être brillant et lire des poèmes à haute voix, le soir, avant de dormir. Boire du thé. Essayer d’écrire.


Et puis pour presque tout le monde, il y a le printemps, bien sûr. Arbres et bourgeons et fleurs et pollens, bien sûr, et les abeilles, et les oiseaux. Piailler. Chanter dans la rue. Sortir dehors en souliers pour la première fois. Retrouver ses lunettes fumées. Avoir envie de déshabiller tout le monde. Poser les lèvres sur les cous soudain découverts, sur la peau retrouvée, jambes nues, épaules nues, têtes nues. Fièvre. Sève. Changer l’heure. Fondre et regarder fondre. Et les rivières en crue. Asperges, têtes de violons. Être neuf. Être en voyage. Appeler, attendre, et espérer, violemment, espérer.


Moi c’est la neige.


Quand il y a cette neige-là qui tombe, simple, nue, vraie - quand il y a cette neige lente, et sincère, et pure, qui tombe dans la nuit, c’est comme si tout ce qu’il y a d’intact en moi se levait debout. Moi c’est à ce moment-là que pour quelques secondes, parfois - je n’en peux plus d’être toute seule.

Le reste du temps ça va.


Le monde, au début, a peut-être juste été neigé. Beaucoup de paix. Beaucoup de blanc. Et les choses qui dormaient en-dessous.


Parfois je pense qu’il n’y a pas eu de big bang. Il y a juste eu une première neige.

lundi 25 octobre 2010

hier encore

ma vingtaine de va-et-vient
ma vingtaine de valises
ma vingtaine à courir dehors
ma vingtaine à t'écrire des poèmes
que je ne t'ai jamais fait lire
ma vingtaine à chercher partout ailleurs
quelque chose comme
mon coeur
ma vingtaine toute seule
ma vingtaine perdue éperdue
ma vingtaine de steppe et de théâtre
de coulisses et d'hôtels
de papier de marées d'aube de gravelle
ma vingtaine d'eau vive
de forêts
d'Adriatique d'îles de pavés de palais
de nuits blanches de plages de présages
de lumière indicible
ma vingtaine de grands rêves

ma vingtaine de premières
de défaites
de courage
de recommencements
ma vingtaine de chemin

ma seule vingtaine
ma belle vingtaine

comme je t'ai aimée

dimanche 24 octobre 2010

Straciatella, prends-moi dans tes bras

En fin de tournée. Ou en voyage. Quand on a assez mangé au restaurant, quand on a envie d'un chez-soi, même fake, même bancal, même inventé. Quand on est dans sa petite chambre et qu'on a un peu froid. Quand on ne va pas se coucher maintenant mais qu'on ne va pas ressortir non plus. Quand on est triste un peu même, ça fonctionne aussi.
La panacée. La potion magique. La botte secrète contre le spleen, l'humidité, la nuit hâtive, les regrets, l'hésitation.
Une recette italienne qui guérit tout, en cinq ingrédients, bouillon de poulet, oeuf, parmesan, muscade, persil. Du poivre si on en a.
On a beau dire, j'avoue que je suis pas d'une grande utilité publique d'habitude, mais ça, ami lecteur, ça, c'est du conseil au voyageur.

jeudi 21 octobre 2010

je fais sonner les cloches

ici j'écris au lit
je me balade en moi
comme dans une ville que j'aime
et qui me rend
mélancolique un peu
grave fugace
pluvieuse

une affiche en hongrois
des Amours imaginaires
au coin d'un cinéma le premier soir

les cloches de la basilique
pour moi toute seule
dix minutes de bruit lancé vers le ciel
célébrant mes victoires les plus secrètes
mes amours les plus silencieuses

il fait froid
je dors tout habillée
je fais des listes de choses aimées
pour me réchauffer
je marche je marche
je ne sais que marcher
marcher et boire du thé

j'ai un rhume de circonstance
le soleil cuit les façades des grands hôtels
les fins de jour pastel
me serrent le coeur

je me demande si
j'aurai le coeur serré
toute ma vie

de beauté
de silence
de solitude
et le Danube
et l'Art nouveau
et les vieux du Café Gerbeaud

ce que j'ai à apprendre:
dis-moi

il pleut toujours quelque part en moi
et il y a toujours
une grande place où je cours
vers toi
baisers cloches éternité
vin doux et paprika
et Budapest
Budapest avec toi

un jour, Budapest avec toi


mercredi 1 septembre 2010

amour ressac

la marée tresse doucement
sa toile de lumière
recommencement sans fin
étranges transparences aux berges épuisées de la soif
dénouer les lueurs
les redonner au ciel
oublier les absents
ce qui se trame en toi

la marée
amourachée
part revient
sans fatigue sans fracas
miracle trébuchant
aux plates-bandes béantes du présage

tout fuit
et
tout reviendra

écoute la mer
c'est ce miracle-là qui bruit au large là-bas
amour ressac
amarante
et la marche lente des possibles
vers toi

mardi 10 août 2010

attendre longtemps

ce que je donnerais pour
savoir ce que savent les hérons
debout dans le bruit de plumes de la paix
veilleurs du bord du monde
absorbés dans la contemplation ardente
du temps rendu à sa vraie mesure
fleuve soleil vent courants
petits poissons entre les pattes
manger
regarder
migrer
attendre
attendre longtemps
apprendre la patience
débusquer l'infini caché dans les marées
apaiser l'eau brouillée
fragile tenace
tranquille

ce que je donnerais
mes deux pieds dans la boue
ne plus douter de rien

sage comme une bête
farouche vivante brave
certaine
comme un oiseau

vendredi 6 août 2010

Tout ce qui vit

la blancheur de la chambre
coton humide autour du cœur
je ne sais plus où poser mon chagrin
au bord de quel cahier
au fond de quelle armure
au bout de quel voyage
avant tu étais loin
avant tu étais
impossible impensable
protégé
maintenant tu es juste là
aussi vrai qu’un jardin
mais tu ne reviens pas
tu ne me reviens pas
je ne sais plus où
comment
dormir
parler
écrire
je ne sais plus où comment
appeler

j’ai prié pour que tu viennes
à genoux dans le printemps
un jour de fin crachin
prière en forme de poème
église en forme de cuisine

j’ai dit poudroiement secret du cœur
petites ailes fragiles au creux de la poitrine
si tu touches ça meurt
j’ai dit serrements sarments
j’ai dit océan
un jour de fin crachin
pliée penchée couchée sur le plancher
j’ai prié
prié pour que tu m’aimes
j’ai dit les yeux fermés
choses douces choses folles choses sublimes
ta vie ma vie bercées traversées
inventées

et il y eut une nuit
mais la splendeur les tremblements n’ont pas suffit
il y eut un matin

tu es venu
tu es parti

et au lieu de t'écrire
je t’ai fait un jardin

jeudi 15 juillet 2010

You brought it back to me

Un jour tu te réveilles, et depuis les draps, tu le sens, il y a comme une odeur d’une douceur indicible, une sorte de vent dans l’appartement, un calme, tu sais pas. Et alors que tu mets de la musique tous les matins pour t’accompagner, pour faire décoller la journée, ce matin-là, le silence a une consistance parfaite, le silence est cette odeur, l’odeur de la paix, coton, aneth, lait, l’odeur est un poème tout blanc, c’est comme un courant d’air mais en mieux, c’est une annonciation, ou tu sais pas, un espoir? Un espoir en forme de brise.

Sur le balcon il y a les zuchinis qui perdent leurs fleurs mais qui font des feuilles géantes, les fraises qui rosisent, les tomates et les haricots qui manquent toujours d’eau, les laitues devenues grandes, les laitues que tu aimes tant, et toutes les herbes avec leur petite personnalité. Il y a les fleurs et il faut les arroser. Tu ne pensais jamais éprouver une telle joie à t’occuper de plantes que tu aurais plantées dans des pots. Mais le printemps arrive toujours du côté où on l’attend le moins. Et l’été est radieux, il n’y a pas longtemps tu as parié une bouteille de champagne sur la beauté de cet été à venir, et tout se déploie comme dans tes plans, tu vas gagner ton pari, l’été est splendide.

Un jour tu te réveilles, ce n’est pas un jour différent, mais l’air est plein de promesses, et tu devines qu’elles seront tenues, si ce n’est pas aujourd’hui, ce sera plus tard, dans pas trop longtemps, et tu te passes de musique avec délectation, le silence est bon, dans la lumière de ton salon le silence est une bénédiction tranquille, un cadeau, comme si pour deux minutes tu avais droit au silence, dedans et dehors, comme si l’esprit pouvait être happé par une paix qui ne vient pas de lui, une paix venue du dehors, comme si tu pouvais attraper l’espoir des tomates qui grandissent doucement sur ton balcon, le faire tien, comme si l’espoir des tomates était contagieux. Un matin tes tomates rêvent si fort, et le silence est si plein de leur rêverie, que tu ne comprends plus ce qui te manquait tant, et que tu restes là, pleine de désir, pleine de lumière, pleine de la paix des laitues et de l’espérance des tomates.

jeudi 6 mai 2010

je ne suis pas une longue fille blonde

ni une chanson triste

je ne suis pas un nid de guêpes

je ne suis pas une falaise escarpée

ni une mésange fragile

je ne suis pas un miroir embué

avec ton nom mon nom de tracés

je ne suis pas une hanche fracturée

ni les éclats de ton coeur

je ne suis pas fracassée

je ne suis pas une tempête de neige

je ne suis pas domestique

je ne suis pas éternelle

je ne suis pas une plage l’hiver

je ne suis pas désolée

je ne suis pas fatiguée

ne suis pas une mer morte

ne suis pas désertée

je ne suis pas une illusion

je ne suis pas une pluie de confettis

je ne suis pas revenue

je ne suis même pas arrivée

je ne suis pas un sanglot long

je ne suis pas une grande baleine

en voie de disparition

je ne suis pas déçue

je ne suis pas absolue

je ne suis pas un personnage de Tchekhov

ni même de Mouawad

je ne suis pas une auteure

oké

je ne suis pas une auteure

je ne suis pas une lumière de Paris

je ne suis pas ton insomnie

je ne suis pas une capitale

ni une consonne ni une route de campagne

je ne suis pas une île grecque aux blancs resplendissants

je ne suis pas partie

je ne suis pas inventée

je ne suis pas perdue

je ne suis pas infinie

je ne suis pas une cathédrale

ni une batture ni un paradis

ni une salle d’attente ni un champ de coton

ni même une cabane

je ne suis pas un grand arbre

je ne suis pas un opéra baroque

je ne suis pas une kamikaze éperdue

je ne suis pas folle

je ne suis pas inquiète

je ne suis pas à toi

je ne suis ni ta mort ni ton salut

ne suis pas invaincue

je ne suis pas une armée

je ne suis pas armée


je suis un ruisseau l’été

et si tu as soif

tu peux boire ici